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des critiques et des créations littéraires d'élèves


Combat de nègre et de chiens

Publié par les élèves du lycée Baudelaire sur 22 Mars 2015, 16:00pm

Combat de nègre et de chiens

Monologue tragique de Alboury, dans la pièce Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès. L'image est tirée de la mise en scène par le metteur en scène Allemand Michael Thalheimer

ALBOURY.-

Il y a très longtemps, je dis à mon frère : je sens que j’ai froid

; il me dit : c’est qu’il y a un petit nuage entre le soleil et toi

; je lui dis : est-ce possible que ce petit nuage me fasse geler alorsque tout autour de moi, les gens transpirent et le soleil les brûle? Mon frère me dit : moi aussi je gèle ; nous nous sommes donc réchauffés ensemble. Je dis ensuite à mon frère : quand donc disparaîtra ce nuage, que le soleil puisse nous chauffer nous aussi? Il m’a dit : il ne disparaîtra pas, c’est un petit nuage qui nous suivra partout, toujours entre le soleil et nous. Et je sentais qu’il nous suivait partout, et qu’au milieu des gens riant tout nus dans la chaleur, mon frère et moi nous gelions et nous nous réchauffions ensemble.

Alors mon frère et moi, sous ce petit nuage qui nous privait de chaleur, nous nous sommes habitués l’un à l’autre, à force de nous réchauffer. Si le dos me démangeait, j’avais mon frère pour le gratter

; et je grattais le sien lorsqu’il le démangeait ; l’inquiétude me faisait ronger les ongles de ses mains et, dans son sommeil, il suçait le pouce de ma main. Les femmes que l’on eut s’accrochèrent à nous et

se mirent à geler à leur tour ; mais on se réchauffait tant on

était serrés sous le petit nuage, on s’habituait les uns aux autres et le frisson qui saisissait un homme se répercutait d’un bord à l’autre du groupe. Les mères vinrent nous rejoindre, et les mères des mères et leurs enfants et nos enfants, une innombrable famille dont même les

morts n’étaient jamais arrachés, mais gardés serrés au milieu de nous, à cause du froid sous le nuage. Le petit nuage avait monté, monté vers le soleil, privant de chaleur une famille de plus en plus grande, de plus en plus habituée chacun à chacun, une famille innombrable faite de corps morts, vivants et à venir, indispensables chacun à chacun à mesure que nous voyions reculer les limites des terres encore chaudes sous le soleil. C’est pourquoi je viens réclamer le corps de mon frère que l’on nous a arraché, parce que son absence a brisé cette proximité qui nous permet de nous tenir chaud, parce que, même mort, nous avons besoin de sa chaleur pour nous réchauffer, et il a besoin de la nôtre pour lui garder la sienne.

Simon GERY

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