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des critiques et des créations littéraires d'élèves


Electre de Jean Giraudoux

Publié par les élèves du lycée Baudelaire sur 25 Mars 2015, 15:41pm

Lamento du jardinier

Moi je ne suis plus dans le jeu. C’est pour cela que je suis libre de venir vous dire ce que la pièce ne pourra vous dire. Dans de pareilles histoires, ils ne vont pas s’interrompre de se tuer et de se mordre pour venir vous raconter que la vie n’a qu’un but, aimer. Ce serait même disgracieux de voir le parricide s’arrêter, le poignard levé, et vous faire l’éloge de l’amour. Cela paraîtrait artificiel. Beaucoup ne le croiraient pas. Mais moi qui suis là, dans cet abandon, cette désolation, je ne vois vraiment pas ce que j’ai d’autre à faire ! Et je parle impartialement. Jamais je ne me résoudrai à épouser une autre qu’Electre, et jamais je n’aurai Electre. Je suis créé pour vivre jour et nuit avec une femme, et toujours je vivrai seul. Pour me donner sans relâche en toute saison et occasion, et toujours je me garderai. C’est ma nuit de noces que je passe ici, tout seul – merci d’être là –, et jamais je n’en aurai d’autre, et le sirop d’oranges que j’avais préparé pour Electre, c’est moi qui ai dû le boire – il n’en reste plus une goutte, c’était une nuit de noces longue. Alors qui douterait de ma parole ? L’inconvénient est que je dis toujours un peu le contraire de ce que je veux dire ; mais ce serait vraiment à désespérer aujourd’hui, avec un cœur aussi serré et cette amertume dans la bouche – c’est amer, au fond, l’orange –, si je parvenais à oublier une minute que j’ai à vous parler de la joie. Joie et Amour, oui. Je viens vous dire que c’est préférable à Aigreur et Haine. Comme devise à graver sur un porche, sur un foulard, c’est tellement mieux ou en bégonias nains dans un massif. Evidemment, la vie est ratée, mais c’est très, très bien, la vie. Evidemment, rien ne va jamais, rien ne s’arrange jamais, mais parfois avouez que cela va admirablement, que cela s’arrange admirablement… Pas pour moi… Ou plutôt pour moi ! Si j’en juge d’après le désir d’aimer, le pouvoir d’aimer tout et tous, que me donne le plus grand malheur de la vie, qu’est-ce que cela doit être pour ceux qui on des malheurs moindres ! Quel amour doivent éprouver ceux qui épousent des femmes qu’ils n’aiment pas, quelle joie ce qu’abandonne, après qu’ils l’ont eu une heure dans leur maison, la femme qu’ils adorent, quelle admiration ceux dont les enfants sont trop laids ! Evidemment, il n’était pas très gai cette nuit mon jardin. Comme petite fête, on peut s’en souvenir. J’avais beau faire parfois comme si Electre était près de moi, lui parler, lui dire : Entrez, Electre ! Avez-vous froid, Electre ? Rien ne s’y trompait, pas même le chien, je ne parle pas de moi-même. Il nous a promis une mariée pensait le chien, et il nous amène un mot. Mon maître s’est marié à un mot : il a mis son vêtement blanc, celui sur lequel mes pattes marquent, qui m’empêche de le caresser, pour se marier à un mot. Il donne du sirop d’oranges à un mot. Il me reproche d’aboyer à des ombres, à de vraies ombres, qui n’existent pas, et lui le voilà qui essaie d’embrasser un mot. Et je ne me suis pas étendu : me coucher avec un mot c’était au-dessus de mes forces… On peut parler avec un mot, et c’est tout !… Mais assis comme moi dans ce jardin où tout divague un peu la nuit, où la lune s’occupe du cadran solaire, où la chouette aveuglée, au lieu de boire au ruisseau, boit à l’allée de ciment, vous auriez compris ce que j’ai compris, à savoir : la vérité.

Arthur Ribes

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